Qui pour une ballade sous la pluie ? [Libre]

Seth n'avait pas été aperçu après la fin des cours, en effet, il devait être le seul à filer dans le jardin fleuri. Pourtant, le temps n'était pas vraiment clément, les averses se succédaient ne laissant que quelques heures, voire quelques minutes de répit pour les promeneurs. Mais bon, quand on n'a connu que le bitume des cités, même par un temps typiquement anglais, on apprécie ce cadre fleuri, les odeurs qui en émane, et le sentiment de sérénité qui s'en dégage. Alors le parisien avait enfilé un long imperméable gris par-dessus son habituelle salopette bleutée, rafistolée de ci de là, et était sorti.

Il ne tarda pas à être suivi par une petite silhouette noiraude qui avait du sortir du bâtiment en douce. C'était un petit chat, à l'allure friponne, et au poil soyeux. On aurait presque cru voir un sourire sur la petite gueule quand il rattrapait son maître, évitant les gouttes d'eau tombant de ci, de là. Il miaula bientôt en passant entre les jambes de l'adolescent amusé. Ah, ce Miro, toujours en train de se faire remarquer ! Seth caressa doucement son complice, puis continua sa promenade. La pluie avait l'air de s'être calmée. C'était chouette ! Il respirait à plein l'odeur de l'herbe humide, des feuilles mortes. Il aimait cette nature si inconnue pour lui. Il s'en émerveillait comme un enfant.

Bientôt, il se décida à aller s'asseoir dans l'herbe, la longueur de son manteau lui permettait de s'asseoir sans se mouiller. Bon, par contre, c'était quand même un peu frisquet. Le jeune garçon sortit alors de son sac en bandoulière un livre, "huis clos" de Sartre, une pièce de théâtre. Elle lui plaisait dès les premières lignes, il était comme aspiré par ses trois personnages tout aussi détestables les uns que les autres. Ils lui ressemblaient, ils ressemblaient à chaque être vivant. Mais ces radieuses réflexions philosophiques furent arrêtées par une violente averse qui débuta. Il ferma précipitamment son livre, cherchant Miro des yeux. Mieux valait rentré !

Cependant le matou en décida autrement, son maître eut beau l'appelait, il continua de courir dans la direction opposée aux bâtiments. Seth fut bien obligé de le suivre, ayant bien trop peur de le perdre. Il courut donc après le félin facétieux, lui criant à bout de souffle et trempé de revenir. Mais croyez vous que la bestiole allait écouter ? Que nenni ! Elle continua de plus belle sa course entre les gouttes d'eau. Le félin grimpa sur un banc et s'arrêta perché dessus.

"Miro ! T'as pas fini de me faire tourné en bourrique ! Vraiment tu es agaçant !"dit-il dans un très bon français.

Mais à peine eut-il vociféré cela à bout de souffle, il découvrit un garçon assis juste à côté du chat. Et même, il pouvait dire que c'était son colocataire Barry. Ahem. Malaise. Crier comme ça alors qu'il était juste là, et qu'en plus il pouvait croire que ça lui était destiné… Le rouquin eut les joues qui rougirent d'un coup, il piqua un charmant fard.

"Pardon ! Je… Mon chat, et je… Vous pas là… Désolé !" s'embrouilla-t-il dans un anglais exécrable.

Et oui, l'émotion lui fait toujours perdre son latin, enfin plutôt son anglais déjà très mauvais à la base !

Malgré les paroles brèves et excusant son attitude, elles n'empêchèrent pas Seth d'être mal à l'aise. Pourquoi ? Parce que déjà, les entrées fracassantes, ce n'était pas trop son truc, se faire remarquer selon lui, n'attire que des ennuis. Et de deux, parce qu'il était naturellement mal à l'aise en présence de Barry. Il ne savait pas dire pourquoi. Peut-être parce que même après un an à partager une chambre avec lui, il ne "sentait" pas vraiment le personnage. Pas qu'il ne l'appréciait pas, non, ce jeune homme était des plus correcte, mais il y avait un quelque chose qui le gênait. Quoi, je ne saurai vous le dire ! Et Seth non plus ! Peut-être n'y avait-il même tout simplement rien, mais quand on a ce genre d'impression, même si elles n'ont aucun fondement, il est très dur de s'en décoller. Peut-être était-ce parce qu'il avait beaucoup de ressemblances ? et ces ressemblances troublaient le français ? Peut-être. Ou pas d'ailleurs ! Mais les faits étaient là, et du du coup, le garçon ne savait pas quoi faire.

Devait-il fuir comme un malpropre en s'excusant à nouveau, et s'éviter la gêne qui pesait sur ses épaules ? Ou affronter celle-ci quitte à être dans un malaise complet ? Bonne question hein ? Être égoïste ou poli ? La politesse étant le premier témoignage de respect, et donc, la seule option non égoïste dans la situation présente ! Ah hésitation quand tu nous tiens ! Et bien, quand tu nous tiens, on a l'air bien bête à rester pantois pendant d'interminables secondes avec un air d'ahuri sur le visage, la bouche crispée, les sourcils froncés. Oui, ça nous laisse un air profondément stupide. En l'occurrence pour Seth, vous avez l'impression de voir une carotte en pleine réflexion. Je vous assure, c'est pathétique ! Alors, heureusement que le choix fut vite fait.

Et oui, en lâche qu'il était, Seth choisissait la fuite ! Seulement, au moment même où il prit cette décision, la pluie redoubla de puissance. La chance peut vous tourner le dos hein ? Ah, bha ça c'est sûr ! Peuh, c'est qu'une égoïste la chance de toute façon ! Miro miaula à ce moment là, l'air de dire : "Miaw, t'as pas fini de prendre racine ? Viens t'asseoir !". C'était peut-être la meilleure chose à faire, maintenant que la pluie l'avait poussé à ces extrémités-là ! On croirait que les chats font la pluie et le beau temps de nos jours !

Résigné, le grand parisien alla s'asseoir à côté de Barry. Sans même lui demander son avis tiens ! Pas courant chez le spécimen Seth ça ! Il regarda les mains de Barry, elles au moins, ne l'intimidaient pas, et découvrit le livre. Il ne connaissait pas du tout.

"De quoi parle le livre ?"demanda-t-il d'une voix douce à son camarade, avec son impayable accent.

La question était sortie toute seule. Dès qu'il s'agissait de livre, le parisien en devenait presque trop curieux ! Il leva la tête vers Barry avec un petit sourire, signe d'une attention toute particulière accordée à la réponse qui arriverait sans doute !

"De... Quoi ? ... Ah, ça. C'est l'histoire d'un... D'un enfant qui fugue à Noël."

Whoaw, notez cette superbe description de ce livre par Barry, on a tout de suite envie de le lire, pas vrai ? Bon d'accord, Barry n'est pas doué pour présenter des livres, ce n'est d'ailleurs pas son métier, faute de confiance en soi. Non, notre jeune blondinet n'était pas très fort dans ce domaine, et plutôt mal à l'aise avec les gens. En l'occurrence, Seth, son colocataire le mettait dans un état plutôt spécial. Il sentait parfaitement que ce Seth ne l'appréciait pas beaucoup, pour une raison qu'il ignorait, alors, soit il faisait tout pour se faire apprécier, soit il abandonnait et restait muet, plus ennuyeux que jamais. Barry était aussi ennuyeux qu'un expert comptable, c'est tout. D'ailleurs, en ce moment même, il était aussi gêné que Seth, en vue d'une conversation trop morte. Pour Barry, la vie se trouvait dans toutes les formes d'art et de culture, et aussi dans la conversation, mais pour cette dernière chose, il n'était pas doué du tout.

Il savait bien que Seth préférait s'en aller, seulement, sa politesse le lui ferait regretter. Fallait-il s'encourager à animer un intérêt entre les deux élèves, ou bien laisser Seth partir comme il le souhaitait ? On allait pas attendre éternellement que Barry réfléchisse, alors ce dernier murmura précipitamment;

"Par Salinger...!"

C'était bel et bien lui, ce nom qu'il avait vu un milliard de fois, il était ancré dans sa mémoire depuis bien longtemps. D'ailleurs, ne le dites pas à Barry, mais, entre nous, ce qui le fait tant aimer ce livre, c'est grâce à sa capacité d'empathie, qu'il renie depuis toujours. En lisant ce livre, Barry comprenait ce que ressentait l'auteur, mais surtout Holden Caulfield, petit enfant qui fuguait. C'était peut être aussi parce qu'il avait fait la même chose, fugué... Mais quoiqu'on en dise, ce n'est malheuresement pas ce que Barry vous dira. D'après lui, il n'a pas d'empathie, et "il aime ce livre parce qu'il est bien écrit"... Pff "bien écrit", mon œil !

Barry caressait encore le chat Miro, quand celui ci bondit soudainement sur... Les genoux de Barry. Ses coussinets étaient froids et trempés ! Par réflexe inutile, il éloigna ses mains du chat, en faisant tomber le livre par terre. Cette bougre de bête ne voulait pas bouger, et la voila qui se mettait à faire sa toilette... Et le livre restait par terre, les pages tremblotaient à cause du vent, qui s'obstinait à éloigner les nuages de pluie...

"Et Mmm... P...Pas bien, le chat !"

Seth écouta le.. Brillant ? Oui, nous dirons non sans ironie, brillant résumé que fit Barry. L'histoire d'un enfant qui fugue. Original. Enfin, pas tant que ça, mais bon, un petit peu original quand même. Le français se demanda si Barry n'avai juste pas été pris de cours pour résumer. Sa question avait certes, était inattendue et spontanée, mais au point de faire un si sublime résumé ? Peut-être bien.

"Ça a l'air… Euh… Bizarre ? Rah, non, c'est pas ce mot en anglais... Euh, peut-être étrange ? Je sais pas !" dit-il en rigolant de sa propre nullité en anglais.

Et puis surgit le nom de l'auteur. Qui fut un parfait inconnu au yeux du borgne ! Salinger ? Des fleurs pour Salinger… ça lui disait quelque chose Salinger ! Ah oui ! Une chanson d'un groupe français qu'il avait entendu une fois, il ne savait où. Il réentendait l'air, les paroles anarchiques. Mais ça ne l'aidait pas à voir qui pouvait être ce salinger. Un auteur, certes, mais à part ça.

Miro batifolait alors avec le garçon assis à côté. Quel fourbe ce chat ! Capricieux en plus. Des fois Seth se demandait pourquoi il avait recueilli ce petit fripon. Il lui apportait bien souvent des ennuis, et pourtant, pourtant, il ne pouvait s'empêcher de sourire en voyant cette boule de poil se prélasser entre les mains de tout le monde, minaudant pour avoir une petite caresse, et ronronnant à souhait. A quelle terrible bête que le chat ! Il obtient toujours ce qu'il veut ! C'en était presque blasant. Tiens, quand je vous disais qu'il obtenait tout ! Voilà que le matou s'était vautré sur les genoux du mutant. Il se léchait maintenant les pattes en ronronnant, faisant paisiblement les pattes alors qu'avec l'agitation qu'il avait produite, le livre était tombé par terre. Vilain chat !

"Ha, je suis désolé ! Miro est un peu envahi… Envahissant plutôt… "dit-il en réfléchissant à ses règles de grammaire anglaises, bon sang, le français ça lui semblait quand même bien plus simple !

Mais, abandonnant ses réflexions grammaticales pas très utiles, avouons le, il se leva et ramassa délicatement le livre. Il ne supportait pas de voir un livre par terre de toute façon. C'était une espèce de réflexe. Il caressa la couverture, enlevant ainsi la poussière qui s'était déposée. Il vérifia que rien n'était abîmé, qu'aucune trace d'humidité n'était apparue. On aurait cru voir un médecin observant un malade. Il était si minutieux, si attentionné, que la situation en était presque étrange. Vous imaginez un géant ausculter un minuscule livre ? et bien, là, c'était tout à fait ça.

Et puis inexorablement, ses mains finirent par ouvrir le livre d'abord avec une intention d'inspection, puis, son œil visible fut happé par les lettres. Par ce labyrinthe de symboles qui emprisonne à coup sûr son esprit. Il lut, une ligne, deux, trois, quatre, avant de réussir à faire marche arrière et sortir du dédale de lettres. Il referma précipitement le livre, de peur de se faire piéger à nouveau. Il le tendit à Barry, comme un enfant pris sur une bêtise.

"Tiens, il n'a rien ! Désolé pour Miro !" dit-il d'une voix légèrement saccadée.


(J'ai commencé à lire l'attrape-cœur ! XD )