Pure Morning {Liibre

Il était tôt ce matin là. Cinq heures et demie, peut être six heures. Anita n'avait pas bien regardé son réveil. Elle s'était contentée de se lever et de tirer délicatement les rideaux de sa chambre pour avoir un aperçu du parc qui s'étendait juste devant ses fenêtres. Ça faisait bien une heure qu'elle se tortillait dans son lit sans pouvoir se rendormir. Malgré le calme, presque inquiétant de l'école. Elle laissa échapper un soupire avant de coller son front sur la vitre glacée. L'effervescence n'allait prendre que d'ici une heure ou deux. Elle n'avait plus sommeil. Et il n'y avait pas grand chose à faire à cette heure là. Ou peut être bien une chose ...

La toute jeune femme enfila un jean qui trainait sur sa chaise, un tee shirt blanc et l'une de ses nombreuses étoles. Celle ci était toute bariolée de couleurs chaudes qu'elle glissa sur ses épaules. Elle referma la porte de sa chambre sans bruits après avoir pris soin de gratifier son chat Muppette d'une légère caresse et descendit, direction la porte d'entrée qu'elle franchit rapidement. Une fois dehors, elle prit une profonde inspiration, sentant l'air froid rentrer dans ses poumons. Elle le rejeta par la bouche, laissant un nuage de condensation s'en échapper.

Son corps s'adapta immédiatement à la température fraiche de l'aube automnale. C'était ça, d'être mutant. Pratique, même si parfois Anita regrettait de ne plus sentir un frisson de froid lui chatouiller le dos. Elle posa un premier pied nus dans la pelouse mouillée par la rosée avant de s'engouffrer dans le parc. L'ambiance était humide et brumeuse, donnant à la nature quelque chose de mystique et d'inquiétant. Si elle n'avait pas aussi bien connu les environs, Anita ne se serait peut être pas avancée d'un pas aussi sur vers le fond du domaine. Dans la lueur du matin, on aurait pu croire une ombre perdue, silencieuse, glissant avec agilité au milieu des arbres.

Bon sang ! Qu'elle aimais l'automne ! Qu'elle aimait cette odeur de feuille et de terre humide qui venait lui chatouiller avec délectation les narines. Que c'était bon de sentir cette fraicheur sur le visage, venant balayé les rayons chauds, trop chauds, du soleil d'été. Ouvrant grand les yeux, elle épiait le feuillage des arbres, tentant d'apercevoir déjà les premières touches rouges et or dont allait se couvrir entièrement le parc. Dernier sursaut de la nature avant de se laisser glisser dans les tumultes de l'hiver.

La silhouette fine d'Anita se stoppa quelques secondes. Elle venait d'arriver. Le lac était aussi magnifique qu'elle l'espérait. La brume qui s'en échappait flottait au dessus des eaux, donnant l'impression que quelque chose de magique allait en sortir. La jeune mutante s'approcha du bord, un léger sourire sur les lèvres. Elle laissa un ou deux doigts de pieds effleurer l'eau, brisant ainsi la tranquillité de la surface argent.

Elle retroussa un instant le nez. C'était franchement froid ! Tant pis ! L'envie était trop forte. Sans se soucier de remonter le bas de son pantalon, déjà mouillé par l'herbe, elle plongea ses pieds dans l'eau. Une fois la première impression passée, elle ne sentait plus vraiment les morsures du froid.

Les bras ballants le long de son corps, la tête légèrement penchée sur le côté, Anita s'amusait pensivement à donner de léger et doux mouvements de pieds dans l'eau. Son étole, qu'elle avait fini par porter négligemment comme une longue écharpe, effleurait de ses franches la surface du lac. Si la brume matinale était bien présente, elle formait cependant un périmètre autour de la jeune femme. Un effet sans doute de son influence malgré elle.

Face à un tel paysage, Anita se surprit à se sentir mélancolique. Elle qui d'habitude se baladait dans le parc justement pour se remonter le moral... Il faut dire que la situation y jouait beaucoup. Ca lui rappela un poème de Lamartine. Ce n'était pas un de ses poètes favoris. En réalité, la poésie ne lui inspirait pas grand chose et ce depuis toujours. Si certains se pâmaient devant ces rimes, ces métaphores et toutes sortes d'entourloupes et de symboles que la langue pouvait apporter, Anita, elle, se contentait de rester perplexe. Mais quoi qu'il en soit, elle n'avait pas non plus délaisser ce style et s'était plus ou moins intéressée aux grands classiques. Lamartine en faisait donc partie ainsi que son poème, le Lac.

A partir d'un lieu qui lui était cher, le poète fait part de ses deux plus grandes obsessions dans sa vie, typique d'ailleurs de sa génération. Le temps qui passe inexorablement et la nature. Deux choses qui étaient également chères à Anita, même si ils ne partageaient pas exactement les mêmes sentiments - ou ressentiments - face à ses idées.
Le temps, pour les années qu'elle a passé a Evolution et pour les années qui lui restent. Le temps avance et ce ne sont pas ses angoisses quant à son futur qui l'arrêterons. Elle avait le contrôle sur le temps qu'il faisait, mais pas sur celui qui s'écoulait. Elle tentait cependant d'avoir la sensation de le ralentir en ne pensant pas à ce qui l'attendais dans quelques années.
Et la nature pour laquelle elle avait une vénération. Elle en influençait une partie et pourtant, jamais l'idée de se sentir supérieure à elle ne lui avait traversé l'esprit. Et c'est sans nul doute grâce à ses pouvoirs qu'elle se sentait aussi proche de mère nature. Chaque mutations apportaient son fardeau, mais Anita se raccrochait beaucoup plus aux bénéfices que cela pouvait lui apporter.

Perdue dans ses brumeuses pensées, elle n'entendis pas le jeune garçon arriver derrière elle. Même si elle s'était montrée plus en éveil, elle ne l'aurait sans doute pas remarqué, trop persuadée qu'à cette heure ci, tout le monde dormais. Alors lorsqu'elle entendis derrière elle une voix, Anita en sursauta si violemment, qu'elle glissa sur le fond du lac. Rien pour se rattraper à porter de main, c'est donc tout naturellement qu'elle se retrouva sur les fesses, l'eau lui arrivant alors juste en dessous des hanches.

Sur le coup Anita ne put s'empêcher de sortir trois, quatre injures sur sa maladresse - ce n'était pas la première fois qu'elle se faisait surprendre ainsi - sur celui qui lui avait fait peur et sur cet saloperie de lac ! Elle se retourna finalement pour apercevoir une jeune garçon qui était totalement pacifique et qui avait même un air avenant.

"Oui, je crois ..." Répondit elle finalement avec un petit sourire gêné.

Elle se sortie précautionneusement de l'eau et rejoignit le rivage, qui n'était franchement pas loin. Un peu plus et elle aurait pu être au sec ... Le pantalon et une bonne partie de l'étole trempé, Anita se redressa finalement pour faire face au garçon.

"Et toi, ça va ?" Demanda-t-elle le plus naturellement du monde.

Anita avait fini par s'asseoir au bord de l'eau. A côté du jeune garçon, elle avait l'impression d'être une géante. Sa petite taille et sa carrure loin d'être celle de Rambo lui donnait l'air d'être un petit garçon. Ses cheveux blonds et ses yeux bleus le rendait encore plus croquignolet ! Pourtant ses traits trahissaient une maturité qui dépassait sans hésiter le simple stade de garçonnet. Quoi qu'il en soit, il était plus jeune qu'elle.

Elle essora son étole de manière mécanique, plus concentrée sur ce que disait Grégory.

"Ah oui, je connais ça. Et tu n'as pas fini de te perdre ..."

Il lui avait fallu au moins trois ans avant de connaître chaque recoin de l'école. La première année avait été un véritable cauchemar. Elle ne parvenait pas arriver à l'heure en classe, le dédales des couloirs et le nombres de pièces lui tournant carrément la tête. Elle s'en faisait parfois presque peur. Lorsque l'on se retrouve seule, au milieu d'un long couloir dont le bout n'est éclairé que par un vieux néon rendant son dernier soupir, il n'y avait pas de quoi se sentir spécialement à l'aise. Et son côté tête en l'air ne l'aidait en rien a se repérer. Mais au moins, elle avait découvert seule l'école, ce qui lui avait permis d'en connaître l'intégralité.

"T'en fais pas pour ça. C'est rien ... Si j'étais pas autant sur les nerfs, je n'aurais pas réagis comme ça ..."

Pour se faire deux ou trois fois de suite surprendre ainsi, c'est qu'il y avait bien une raison. Elle qui était pourtant toujours attentive à ce qui l'entourais. Elle mis donc ca sur le compte du stress, de l'angoisse ou de n'importe quel facteur qui jouait sur ses pauvres nerfs. Maintenant, il suffisait de savoir très exactement pourquoi elle était dans un tel état, histoire d'y remédier au plus vite. Déclencher une tempête ne lui disait pas grand chose ...

L'observant du coin de l'oeil pendant qu'elle constatait avec un air las que son étole était à présent toute chiffonnée.

C'est ainsi qu'elle s'aperçut que des larmes coulaient le long des joues du jeune garçon. Elle délaissa sa longue écharpe pour se tourner avec une certaine surprise vers lui. Elle bégaya a demi mot un "Mais, je t'ai dit que ce n'était pas grave !". Egoïstement, elle avait cru qu'il se mettait dans tous ses états pour elle. Alors lorsqu'il lui tenta d'expliquer cette soudaine montée d'émotions, Anita se sentie toute bête. A croire que le lac avait quelques propriétés magiques qui rendaient les gens mélancolique et nostalgique comme le disait Grégoy.

"Enchantée, moi c'est Anita !" Dit elle en lui rendant son sourire quelque peu tinté de perplexité.

Passé des larmes au rire pouvait être une qualité. Mais n'empêche qu'il y avait eu quand même des larmes a un moment. Et ce n'était pas rien ... Changeait il de sujet volontairement ou pas ? Ou était ce son caractère ?

Lorsqu'elle le vit risqué un pied dans l'eau, Anita ne put s'empêcher de sourire.

"Je t'ai dis de ne pas t'en faire ! Je ne suis pas sensible aux températures ... Un petit plus de la mutation !" Dit elle en haussant les épaules.

Ne pas sentir était un bien grand mot. Si, elle sentait les différentes températures, mais ça ne la gênait pas. Ca ne lui faisait pas mal, son corps s'adaptait automatiquement pour qu'elle n'en souffre pas. Qu'elle le veuille ou non.
Son sourire disparu pour laisser place à une mine un peu plus grave.

"Tu sais, on s'y fait vite. La première année est la plus dure. Et après ca va de mieux en mieux. Il y a trop de choses a voir et a apprendre pour se laisser aller"